Comment faire pour devenir fidèle et rester fidèle ?

« Mon peuple meurt faute de connaissances » (Osée 4 : 6). En effet, la connaissance ou encore la formation est une semence qui, jetée dans de bonnes terres, donne la vie et porte beaucoup de bons fruits. C’est dans cet ordre d’idée que notre fondateur, le vénérable Père André Coindre a affirmé : « il faut surtout empêcher que nos établissements ne tombent faute de science et de vertu » ( manuel des postulants page 187 ). Ainsi, conscient de l’importance de la formation, la province a pris l’initiative de nous entretenir ( les scolastiques ) sur un ensemble de thèmes d’une importance non pas des moindres, mais capitale. Des thèmes tels que : accompagnement, maturité affective, charisme, fidélité… Cette dernière, traitée par le F. Justin Josaphat, SC  que nous remercions et dont nous saluons et apprécions l’effort consenti et la pédagogie utilisée, constitue l’objet du présent article.

   Dans les lignes qui suivent, nous nous intéresserons d’abord à la définition de la fidélité, ensuite à son importance dans la vie religieuse, puis nous répondrons à la question « comment faire pour devenir fidèle et rester fidèle ? », Pour enfin  conclure.

Définition

Du latin fidelitas « fidélité, constance, sincérité », la fidélité est la qualité de celui qui est constamment attaché à ses devoirs, ses engagements. Ainsi donc, celui qui est fidèle fait preuve de constance, de respect envers ses devoirs et ses engagements. Comment la notion de fidélité s’applique-t-elle à la vie consacrée ?  Qui dit vie consacrée dit approfondissement de sa consécration baptismale par les vœux ou conseils évangéliques. Le but auquel elle (la vie consacrée) tend par sa nature même et que les religieux et religieuses doivent poursuivre dans les diverses formes de leurs activités est de rendre témoignage au Christ en cette vie afin d’obtenir la vie éternelle, le Royaume de Dieu, dans l’autre vie. Ainsi, la fidélité dans la vie religieuse consiste à vivre non seulement selon les exigences de notre baptême, mais aussi celles des conseils évangéliques. Et pourtant nous vivons une époque où l’infidélité est monnaie courante dans la vie religieuse, une époque où les exigences de ce style de vie sont banalisées et souvent violées sans aucun scrupule et nombre de religieux (ses) font l’objet de nombreux scandales. Dans un tel contexte, la question de la place, de l’importance ou de la valeur de la fidélité dans la vie religieuse se pose avec acuité.

Importance de la fidélité dans la vie religieuse

 Quelle est donc l’importance, la valeur de la fidélité dans la vie consacrée ? Lorsqu’on considère l’origine de la vie religieuse, on constate qu’elle est une réponse à l’infidélité de l’homme à la Parole de Dieu. Pensons à ces extraordinaires pionniers qui, en réponse aux dérives de l’Église, se sont retirés dans le désert pour vivre radicalement l’évangile. Souvenons-nous des pionniers tels que saint Pacôme, saint Benoît…, qui n’avaient pas d’autre désir que de vivre radicalement la Parole de Dieu. En outre, la vie religieuse est l’œuvre de l’Esprit Saint pour la bonne marche de l’Église. En jetant un regard sur l’histoire de l’Église nous pouvons remarquer que chaque fois que l’Eglise est penchée, chaque fois que l’Eglise est déviée, l’Esprit suscite des hommes et des femmes pour la redresser, la remettre sur les rails en vivant l’évangile de manière radicale et donner un témoignage de sainteté et de fidélité à la Parole de Dieu. L’origine de la vie religieuse en témoigne : face à l’embourgeoisement de l’Église, des hommes ont choisi la pauvreté ; face  au débauche, des hommes ont choisi la chasteté ; face à la quête du pouvoir, des hommes ont choisi l’obéissance. Ce qui a donné naissance à cet état de vie, la vie religieuse. Souvenons-nous de saint François d’Assise qui, dans une vision, a vu que l’Eglise reposait sur ses Épaules et a tout abandonné pour suivre le Christ chaste pauvre et obéissant donnant ainsi un témoignage de fidélité radicale à la Parole de Dieu. Bref, les religieux et les religieuses fidèles sont des colonnes pour l’Église. C’est ce que la constitution dogmatique Lumen Gentium nous enseigne essentiellement au numéro 44 « Nature et importance de l’ état religieux dans l’Eglise ». L’importance de la fidélité dans la vie religieuse est donc capitale, vitale, nécessaire. Le désir de fidélité à la Parole de Dieu est à l’origine de la vie religieuse et sans elle celle-ci perd sa raison d’être.

Considérant l’importance, la pertinence et l’enjeu du thème de notre réflexion, la fidélité, il convient de se demander comment faire pour devenir et demeurer fidèle ? Pour répondre à cette question, nous allons articuler notre réflexion autour de trois axes : la volonté, le secours de Dieu et le soutien fraternel.

La volonté

Si Dieu nous a créés sans notre volonté, il ne va pas nous sauver sans cette dernière. En effet, pour devenir fidèle et le rester, il faut en avoir la volonté. Nous devons prendre conscience que bergers du troupeau nous ne pouvons nous permettre de nous comporter en loups ; gardiens du temple, nous ne pouvons nous permettre de le briser et le piller. Nous devons prendre conscience de notre devoir d’être des témoins et des prophètes. L’ancien supérieur général, F. José Ignacio Carmona Ollo, SC, parle de « notre mission prophétique aujourd’hui et demain à la suite du Christ prophète » (Circulaire générale du 14 janvier 2014). Le prophète, dit-il, vit une profonde expérience de Dieu. Or Dieu est du côté de la justice et la vérité. Est-ce que je vis dans la justice et la vérité ? Une vie dans l’injustice et le mensonge est-elle digne de l’homme ? Renoncer à faire des efforts pour devenir fidèles n’est ce pas consentir à nous soumettre aveuglément à nos désirs et par conséquent consentir à l’indignité de la condition d’un esclave volontaire, et donc trahir la liberté et l’humanité en nous ? Par ailleurs, nous devons admettre que certaines fois la volonté de devenir fidèle est là, mais pour des raisons liées à la faiblesse de notre humaine nature, nous n’arrivons pas à renoncer à certaines choses. Pour y parvenir il nous faut le secours de Dieu.

Le divin secours

« Sans moi, dit le Seigneur, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15, 5). En effet, pour devenir et rester fidèles, nous devons nous appuyer sur la force divine. Notre Règle de Vie, au numéro 65, affirme ce qui suit : « La fidélité aux exigences de notre consécration s’appuie sur la force divine qui opère en chacun le vouloir et le faire . Ce qui est impossible pour l’homme est possible pour Dieu… ». La fidélité est donc une grâce divine. Or c’est par la prière qu’on obtient la grâce de Dieu. D’où la nécessité de s’attacher à la prière, si l’on veut devenir et rester fidèle. Est-ce que je prie suffisamment ? La prière personnelle n’est elle pas négligée ? La prière communautaire n’est elle pas devenue superficielle et machinale ?  Si oui, comment vais-je procéder pour stopper l’hémorragie, rectifier le tire et changer le cours des choses ? Suis-je conscient de l’importance de l’accompagnement spirituel ? Est-ce que je me fais accompagner spirituellement ? …

Le soutien fraternel

Une occasion où nous exprimons explicitement le rôle du soutien fraternel dans nos efforts en vue d’être fidèles est le renouvellement des vœux lorsque nous répondons « Oui… par la grâce de Dieu et le soutien de mes frères ». En effet, le soutien fraternel peut et doit favoriser la fidélité de chaque confrère. Comment ? Notre Règle de Vie, au numéro 172, stipule : « La communauté fraternelle est le lieu où s’épanouit la grâce de notre vocation. C’est dans la communauté fraternelle que nous faisons la découverte progressive du vrai visage du Frère du Sacré-Cœur. C’est là que nous nous sentons solidaires de chacun dans sa croissance ». Ainsi, le frère doit se sentir épanoui, heureux dans sa communauté. L’homme, nous dit Pascal, est en quête de bonheur, même ceux qui vont jusqu’à se pendre (Pascal, Pensée 138, édition Michel Le Guern). Si le frère ne se sent pas épanoui, heureux dans sa communauté, il pourrait aller chercher ce bonheur, cet épanouissement ailleurs et tomber dans l’infidélité. D’où la pertinence et l’enjeu de l’invitation du supérieur provincial, F. Nelson Augustin, SC, à construire une communauté plus fraternelle et accueillante. D’où la nécessité de remettre sur scelle une des interrogations du provincial précédemment cité, lors de sa dernière visite canonique « À quelles conversions sommes-nous appelés pour vivre radicalement la fraternité ? ». D’autre part, nous devons être solidaires de chacun dans sa croissance. Suis-je solidaire de mon frère dans sa croissance ? Lorsque mon frère est sur une mauvaise pente, est-ce que j’abonde dans le même sens que lui ? Est-ce que je reste indifférent ? Ou bien est-ce que je l’aborde pour lui rappeler la route à suivre ? Suis-je assez ouvert et humble pour accueillir le conseil d’un confrère ? Le respect mutuel, l’entraide, la valorisation fraternelle, l’accueil, la douceur, l’humilité sont-ils des caractéristiques de ma communauté ? Si oui tant mieux. Si non, il y va de notre intérêt et de notre devoir de redécouvrir ces valeurs dans un réel souci de les vivre pour la gloire de Dieu et le bonheur de notre communauté.

Conclusion :

Nous nous étions demandés « comment faire pour devenir fidèle et rester fidèle » ? Nous savons maintenant qu’avec la volonté, le secours de Dieu et le soutien de nos frères, nous pouvons y parvenir. En outre, nous avons montré qu’il y va de notre intérêt et de notre devoir d’entrer dans cette démarche : de notre intérêt parce qu’une vie dans l’infidélité est indigne de l’homme et nous prive de l’expérience de Dieu ; Parce que renoncer à faire des efforts pour vivre fidèle c’est choisir délibérément de vivre dans l’indignité de la condition d’un esclave et donc renoncer à la liberté et l’humanité en nous. Une question que chacun de nous peut donc se poser est la suivante : èske m lib ? Esklav kisa m ye ? De notre devoir parce que le devoir au sens moral du terme, consiste en une obligation  dont l’être humain reconnaît en son fort intérieur la réalité et la valeur. Ainsi donc, lorsqu’on considère la valeur de la fidélité dans la vie religieuse, les efforts des pionniers, nos devanciers, nos modèles en ce sens et, de surcroît, notre statut de personne morale, nous ne pouvons que reconnaître l’obligation de faire des efforts pour devenir et demeurer fidèles. Puisse Marie, « modèle achevé de la fidélité au Seigneur » (Règle de Vie # 66), nous soutenir dans cette démarche.

F. Joseph Jamesly, sc.